jeudi 24 juin 2010

Annie Hackenheimer : le monde du spectacle


Militant C.G.T, le père d’Annie était le seul rouge de la famille. Les Hackenheimer étaient plutôt des militaires et des douaniers. Lui était dispatcheur à Micheville, l’homme qui règle l’alimentation en gaz du haut fourneau. Toujours de service, avec son brassard rouge pour passer les piquets de grève, le haut fourneau ne devait pas s’arrêter. Le grand-père maternel lui, était pétainiste et lisait à Annie Victor Hugo quand elle avait dix ans. La liberté et la culture à la maison.

Augustine, la grand-mère d’Annie, était une femme indépendante. Couturière de métier, elle avait habillé tout le quartier et non seulement elle est propriétaire de sa maison à 30 ans mais elle se marie à 32 avec Emile Hackenheimer, mutilé de guerre.

autour d'Emile et Augustine en 1956 C’est elle qui encouragera Annie à quitter la maison.

L’enfance d’Annie résonne encore de la guerre. Le four crématoire du camp de concentration de Thill existe encore. Les déportés, évacués en septembre 1944, fabriquaient des v1 et des v2 dans une usine souterraine installée dans une mine.

Annie à l'extrême gauche

Son père, jeune homme, a cotoyé la résistance dans l'entourage d’Armand Sacconi, le futur maire de Villerupt de 1959 à 1986. Pendant la guerre d’Algérie il montera la garde devant la mairie pour prévenir les attentats de l’O.A.S.



Sa mère, membre de l’union des femmes françaises enverra des colis aux soldats.


A 18 ans Annie sent qu’elle perd son temps à l’école. Depuis l’âge de treize ans elle participe aux activités de la M.J.C, et en particulier à l’atelier théâtre avec J.P Minechetti, le fondateur du festival du film italien.



En août 68 elle suit une tournée d’été dans les maisons familiales de l’union mutuelle ouvrière sur la côte d’azur : en rentrant elle est dégoutée de l’école…

Ce qu’elle veut c’est travailler : son père lui a dit qu’elle partira quand elle aura trouvé un travail. A la maison il n’y a ni punition ni récompense. Ses parents partent du principe que c’est à elle de savoir ce qui est bon pour elle.


Annie signe son premier contrat de travail en octobre 1969 : elle a vingt ans et se lance dans l’animation au centre de loisir Sollac de St Nicolas en forêt. Dans l’atelier théâtre qu’elle crée, elle rencontre son futur mari et les trois ans de différence entre eux vont faire jaser : Annie est mutée au centre Jacques Brel à Thionville en 1972. La gymnastique pour dames ne la passionne pas, et en 74 elle entre comme éducatrice en formation au club de prévention de la côte des roses fondé par un couple de libanais, les Chaiaz.


Très vite Annie a du mal à travailler dans la confusion des genres. Elle est trop impliquée émotionnellement, il lui est souvent demandé d’héberger des usagers. L’équipe éducative n’a aucune distance. Pourtant elle peut enfin mettre sur pied concerts et expositions en partenariat avec les centres qui l’ont remercié.

Avec son jeune mari Michel Thomas elle a fondé le théâtre de l’araignée en 1974. En 1978 elle quitte le club et se consacre entièrement à l’Araignée à qui le passage à gauche des villes de la vallée de la Fensch ouvre des possibilités de tournée.

Vendredi noir: une des réussites du théâtre de l'Araignée


Tout le monde dans la compagnie a le statut d’intermittent du spectacle et touche les mêmes cachets à partir de 1980. Annie est actrice, organisatrice des tournées, assistante du metteur en scène : en tant que femme de troupe elle doit pouvoir faire un peu de tout. La vie du théâtre est difficile. Difficile de faire venir les gens pour acheter les spectacles. Difficile de faire venir le comité d’expert de la direction de la culture qui se déplace rarement en province. Le théâtre n’est pas visible.


Il peut vivre sans la commission de la Drac mais, toujours en galère.

Le travail d’Annie est de préparer la saison : le budget et le planning. Il faut faire signer les engagements de spectacles au plus tôt pour pouvoir réserver les acteurs et metteurs en scène à temps car ceux-ci travaillent pour plusieurs compagnies. Les ateliers du théâtre jeune public et du club de prévention du centre ville fonctionnent bien. La force de Michel Thomas est d’inclure tous les enfants dans le spectacle. Il n’a jamais viré personne : « tu ne peux pas parler ! Alors tu bouges ». Il arrivait toujours à sortir quelque chose d’un adolescent.

En 1988 premier redressement judiciaire à négocier pour Annie.

En 1995 dissolution du théâtre pour effacer une dette Urssaf et création de l’araignée théâtre2 en scope Sarl, gérée par les acteurs associés.

Le théâtre vit des ateliers, des spectacles et de 35% de subvention. La troupe vit du statut d’intermittent : à l’époque 52 cachets de 100€ par an donnent droit à 1000€ d’allocation par mois.

Le C.D.T.N sous la direction de Stéphanie Loïc, achetait quelques spectacles. Monsieur Gutman arrive, l’araignée n’est plus dans l’abonnement, monsieur Gutman attend de voir le travail : il ne viendra jamais . La vie devient plus dure.

Marie Duratti et Michel Thomas


Jouer à la recette hors abonnement ne couvre pas les frais d’un spectacle qui mobilise six personnes sur le plateau.

En 2005 un arriéré de caisse et un retard de subvention vont précipiter la liquidation judiciaire du théâtre.










Annie Hackenheimer, la vraie vie d'une élue.

envoyé par lelierre. - Plus de vidéos de blogueurs.


Annie a été élue au conseil municipal en 2008 sur la liste d’union de la gauche et le 3 mars 2010, élue à la communauté d'agglomérations Portes de France qui regroupent 13 communes. Elle travaille aujourd’hui comme employée de vie scolaire à la maternelle St Pierre. Elle prépare aussi les relations publiques de son troisième Festival du Réel en vue, la compétition de film documentaire du centre le Lierre à Thionville qui peut bénéficier ainsi de son expérience du monde du spectacle.











Festival du Réel en vue: projection à la Scala, en présence de Frédérique Lesage, producteur du film"de l'autre côté"



mercredi 9 juin 2010

Evelyne Pigato: à la rencontre des sans-papiers


Evelyne Pigato est enseignante à l’école St Pierre à Thionville. C’est une école biculturelle ce qui signifie que les cours sont dispensés en français et en allemand.

Evelyne est elle-même française, elle est née à Villerupt et italienne par ses parents. Les Pigato faisaient partie de la dernière vague d’immigration italienne en France dans les années cinquante, ils venaient de Marostica. Monsieur Pigato était maçon, sa femme était céramiste puis couturière : elle cousait pour toute la famille.

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Tous deux étaient parmi les premiers membres du cercle de l’U.L.E.V, unione Lavoratori Emigrati Veneti, une des trois associations italiennes toujours active à Villerupt. Evelyne a passé tous ses étés à Marostica jusqu’à ses seize ans. En Italie elle circule incognito, elle aime ce sentiment d’appartenir à la population. En 1996, enseignante fraichement diplômée, elle participe à un programme d’échange franco-allemand de maîtres du premier degré dans une école allemande de Trèves en Rhénanie-Palatinat : elle enseigne le français.




Dans l’école, il y a un groupe important d’enfants d’origine turque en difficulté scolaire. Ils prennent goût à son cours : leurs bons résultats vont leur redonner le sourire.


Quand Evelyne revient en 99, elle enseigne à l’école St-Pierre et continue à se former. Elle passe sa maîtrise de français langue étrangère à l’université de Metz puis un master professionnel.

En 2006, elle est en poste à l’école du Centre et c’est là qu’un déclic se produit. Dans sa classe il y a un enfant sans-papiers : ces jeunes élèves vivent constamment dans l’angoisse d’être expulsés dans leur pays d’origine. Grâce à lui Evelyne va découvrir le monde des demandeurs d’asile et l’antenne thionvilloise de R.E.S.F[2], le réseau d’éducation sans frontière.




Le réseau intervient pour concrétiser les demandes d’asile de ces gens qui arrivent en France dans des conditions difficiles puis les oriente et suit leur dossier. Cela demande des compétences précises qu’elle n’a pas et Evelyne choisit d’aider à sa façon en prenant les enfants en charge pour des sorties et des activités.



Elle réussit par exemple à leur proposer des activités culturelles grâce à la directrice de la médiathèque de Florange et aussi des activités sportives grâce à un ami qui leur ouvre son club de ping-pong. Cela les sort des structures d’hébergement où ils vivent confinés avec toute leur famille dans de minuscules chambres.

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Mais les permanents du réseau sont beaucoup plus sollicités. En plus de traiter l’ensemble des dossiers, ils sont capables d’intervenir 24 heures sur 24 pour répondre à une demande d’aide urgente. C’est une tâche usante et aujourd’hui Evelyne constate l’épuisement du noyau dur du réseau de Thionville. Avec ses amies elle a tout de même organisé une fête de Noël pour les enfants dans une salle municipale dans le simple but de leur changer les idées.

Fichier:livre1.jpgdessins de Yahia al Salo


Depuis qu’elle s’est impliquée dans le monde des demandeurs d’asile, elle a rencontré ici et en Allemagne, des migrants dans des situations pénibles. Elle s’est liée d’amitié avec un professeur de philosophie congolais, Guy Bosco Eba et un doctorant irakien, Al Bagdadi animés par la même passion : écrire ce qu’ils ressentent.


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dessin de Céleste


Quelques mois après leur rencontre, ils réunissent leurs poèmes et un livre d’artiste prend forme grâce aux illustrations de Céleste, une artiste peintre de la région et Diego, le cousin d’Evelyne, un artiste peintre italien. La guerre, les papiers, la détresse, la vie, l’Amour et l’espoir sont les thèmes de ce livre. Quelques exemplaires ont été édités mais aucun éditeur n’a voulu prendre le relais pour l’instant.

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Pour Evelyne Pigato, enseigner ne se limite pas à la transmission des savoirs mais consiste également à transmettre des valeurs et développer l’esprit critique des élèves. De nombreuses personnes croient en ces valeurs de solidarité qui naissent autour des demandeurs d’asile et on peut espérer une reprise des activités du réseau.