mardi 22 décembre 2009

Bérengère Richard: construire intelligent et en accord avec les habitants

Bérengère Richard est ingénieur de la fonction publique depuis 2003. Elle travaille à la direction de l’urbanisme de Thionville où elle est plus particulièrement chargée du projet de renouvellement urbain de la Côtes des roses.

La Côte des roses est un quartier de grands immeubles construits à la fin des années cinquante pour accompagner l’essor de la sidérurgie lorraine.

Ce quartier occupe d’anciennes terres agricoles entre le château de la Malgrange et les hauteurs de Guentrange. La côte des roses en 1950, c’était des champs où on lâchait les vaches tout autour de la ferme de la Briquerie et une route qui descendait en ville. Les immeubles sont sortis de terre.


La ferme est devenue débit de lait pour tout le quartier et la côte des roses ce qu’on appelait alors une cité dortoir.

Bérengère Richard a commencé ses études par un Deug de biologie. Elle s’est tournée ensuite vers une maitrise de sciences et techniques en aménagement et environnement et pour finir, vers un diplôme d’études supérieure en aménagement au Cesa de Tours. Comme les gens de sa génération, elle est sensible à la question de l’aménagement du territoire tout en préservant l’environnement.




Bérengère se demande ce qu’elle aurait fait construire sur la côte des roses dans ces années 60. Mais les enjeux étaient différents et la réflexion sur la construction des villes beaucoup moins élaborée qu’aujourd’hui. Il ne s’agit plus de construire pour construire. Mais de construire intelligent en pensant au confort des habitants et en essayant d’anticiper le manque de pétrole du futur en réduisant nos besoins en énergie.

Les élus ont décidé à la fin des années 90 de transformer la Côte des roses et de l’ouvrir sur le reste de la ville. La Direction de l’urbanisme a engagé des études sur les travaux prévus à la Côte des roses et s’est vue confier la tâche d’élaborer un plan d’ensemble du devenir du quartier.


les immeubles de la rue Molière déjà rénovés.

Les bailleurs sociaux, Batigère, Mosellis, l’O.P.H, sont les maitres d’ouvrage qui gèrent la réalisation des travaux des bâtiments. Bérengère Richard coordonne leurs interventions avec celles des techniciens de la Ville responsables des travaux sur les espaces publics.

Pour faire participer les habitants au projet et leur permettre de trouver un emploi, chaque entreprise sélectionnée pour participer aux travaux doit accepter de réserver au moins 5% d’heures de travail aux habitants du quartier en priorité. C’est l’association Tremplin qui assure la préformation aux différents corps de métier du bâtiment, de la voirie et de l’entretien, des hommes et des femmes concernés.

Depuis le début, Bérengère fait le relais avec l’Agence nationale de renouvellement urbain, l’A.N.R.U qui finance jusqu’à 16% le projet.


Les réunions de réflexion autour du projet ont commencé en 2000 et un protocole de préfiguration des travaux a été signé avec l’A.N.R.U en 2007 permettant de réaliser les premiers aménagements autour de la maison de quartier.

La ville est très vigilante en ce qui concerne le relogement des familles habitant les immeubles promis à la démolition : elle participe tous les deux mois au comité technique de suivi du relogement, aux réunions de la Gestion d’urbanisme de proximité et d’Insertion par l’économique.

Il s’agit dans chaque cas d’arriver à concilier les offres de logement avec les moyens financiers et les désirs des habitants.

Par exemple, en trouvant un équilibre entre le prix qu’ils payaient pour une surface devenue souvent trop importante et celui d’un logement neuf mieux adapté à leur besoins et moins couteux en charge.

Toutes les constructions neuves auront en effet le label haute performance énergétique. Ce qui signifie moins de frais de chauffage.

Une salle du projet va être inaugurée début 2010 à la maison de quartier. Chaque habitant, chaque association et chaque acteur local est invité à rendre ce lieu vivant, avec des animations, des débats et des expositions. Par exemple, les enfants des écoles de la Côte des roses participent déjà à un programme d'initiation à l'urbanisme. Grâce au Conseil en architecture, urbanisme et environnement du département, le C.A.U.E, les élèves se font un regard neuf sur l'architecture de leur quartier.

Bientôt on pourra descendre de la rue de la perdrix au square Fénelon sans obstacle et rejoindre la rue des pyramides à travers de nouveaux espaces verts débouchant directement sur le carrefour.

A la place de la barre longeant la chaussée d’Océanie seront construits plusieurs petits immeubles accessibles à la propriété ou réservé à des logements sociaux mais à l’emplacement de l’immeuble du bas de la rue corneille, les allées et jardins donneront directement sur la rue.


la chaussée d'Océanie et la barre qui doit disparaitre,

le carrefour de la rue des pyramides et l'entrée des futurs jardins


Ainsi seront réduites deux frontières invisibles qui séparaient le quartier de la ville et le quartier en deux, la chaussée d’Océanie et la rue Saint Hubert.

article: creff@wikithionville.fr

mercredi 16 décembre 2009

Karine Wittig : à la découverte de soi.



Karine Wittig a trente deux ans et depuis septembre 2009 elle est retournée à l’université.
C’est au bug de l’an 2000 que Karine doit sa carrière dans l’informatique. Après cinq ans d’études en biologie cellulaire elle cherche du travail dans sa branche mais sans succès. On manque alors cruellement d’informaticiens pour préparer le passage au XXIème siècle et le secteur informatique recrute volontiers tous les chercheurs scientifiques disponibles. Karine passe des tests de logique et de rapidité et après quatre mois de formation intensive elle était lancée !
Jusqu’en 2008, elle a travaillé comme business analyst dans le service informatique de grandes banques, les deux dernières étaient luxembourgeoises. Les banques suivent les marchés grâce à des systèmes de gestion des flux boursiers. Sa tâche consistait par exemple à mettre en œuvre le passage d’un système donné à un nouveau système pour évoluer en même temps que le progrès technique. Après huit ans dans la banque elle avait le sentiment de ne pas avoir fait avancer le monde. Gagner de l’argent, c’est tout.

.à propos des subprimes...



Elle a démissionné malgré l’incompréhension de son entourage : on ne lâche pas un si bon salaire et elle s’est donnée six mois de réflexion.
C’est à Madagascar que le déclic se fait : elle voit la terre colorée de l’île et se dit qu’elle veut faire un tableau avec ça. Tant bien que mal elle ramène un sac de terre et dès qu’elle est rentrée elle invente un mélange de terre et de colle et peint son premier tableau, un portrait d’enfant. Tout le monde la complimente et là elle comprend qu’elle avait oublié une chose : elle sait dessiner. Elle sait peindre.
Ces six mois lui permettront de rencontrer des gens différents et de montrer son travail un soir de concert à la passerelle de Florange où elle vend son premier tableau. Régis, à Thionville, lui offrira les murs de son salon de coiffure pour sa première exposition personnelle.
Elle s’isole un peu de sa famille, elle a besoin de toucher cet ennui profond qui ouvre les yeux sur soi-même. Au bout de cette pause elle se rend à l’évidence : elle a connu le désir de peindre sans s'arrêter.

Maintenant qu’elle sait vers quoi elle veut aller,
il lui faut retourner travailler pour rentrer de l’argent tout en gardant une plage de temps pour créer. L’argent, elle en a besoin pour vivre et pour acheter le matériel. Elle retrouve un job au Luxembourg dans son domaine de compétence mais là, surprise : au bout d’un an elle est virée sans formalités, c’est la crise et les salariés sont bien moins protégés de l’autre côté de la frontière qu’en France.
Elle a droit à deux ans d’allocation chômage et c’est à ce moment là qu’elle décide de suivre les cours de 2ème année d’art plastique à la fac de Metz. Si elle reconnait qu’elle a idéalisé ce monde de l’art et que les rapports avec les professeurs sont moins épanouissants qu’elle l’avait imaginé, elle est contente d’avoir pu suivre cette année. Elle progresse plus vite que si elle était restée seule à chercher dans les rayons de la bibliothèque. Karine a besoin d’une vue d’ensemble pour savoir ce qui s’est déjà fait en art.


Elle veut se démarquer et donner une autre dimension à ce qu’elle fait


Elle sait déjà qu’elle a pour elle ce qu’elle a vécu. Son regard sur le monde, Karine l’a ouvert pendant sa dernière année de formation en biologie au Portugal. Cette expérience de l’exil lui a fait ressentir l’isolement du migrant et le rejet de l’autre. Elle ne parlait pas la langue, elle était vraiment perdue entre le labo sa chambre et l’épicerie. Elle n’a jamais oublié ces sentiments et aujourd’hui, elle essaie de rester attentive aux autres : elle est pour toujours sensible à l’indifférence pour ceux qui sont isolés et qui subissent le racisme.
Après cette année de fac il lui restera huit mois pour valider son expérience et mette son activité en place. Elle sait que la voie choisie est la bonne, elle sera bientôt sans filet mais elle a envie de se donner les moyens et d’y arriver.

Karine Wittig expose à la salle in vitro jusqu’au 20 décembre à Thionville




le site internet de karine : www.pluri-l.com

article: creff@wikithionville.fr

mercredi 2 décembre 2009

Axel Weber et Maxime Weier: l'aventure humanitaire

Maxime Weier et Axel Weber, respectivement 23 et 24 ans, ont choisi un métier solide qu’ils sont sûr de pouvoir exercer partout en ces temps de pénurie de personnel soignant. Ils sont tous deux infirmiers et la sécurité que leur apporte ce métier, a permis à leur désir d’être utile de s’exprimer librement.



L’ADSAR, l’association qu’ils ont crée, a exposé du 30 novembre au 6 décembre salle « In vitro » à Thionville, les photos de Djibrill Dramé. Djibrill est un artiste sénégalais, membre du collectif Mizérables grafff et ses photos montrent une jeunesse africaine qui trouve à s’occuper au pays plutôt que de céder au mirage de l’exil en Europe.

le cercle de lutte /photo Djibrill Dramé

Leur rencontre s’est faite pendant le deuxième voyage d’Axel et Maxime en Afrique. Le premier avait eu lieu à la fin de leurs études en France quand ils avaient accepté ce stage proposé par l’association Visa Santé qui permet à de jeunes élèves de découvrir la réalité des soins en Afrique.


Axel a toujours rêvé de partir, enfant il avait déjà une profonde attirance pour l’Afrique noire. Tout ce qu’il a pu imaginer a été confirmé au-delà des ses espérances. Lui qui est d’un naturel réservé peut entrer en relation avec les gens plus facilement grâce à l’hospitalité traditionnelle des Africains, jamais démentie. Là-bas, les gens viennent à lui alors qu’ici les européens, dans leur jardin, avec grillage et tout, ont perdu cette solidarité et ce sens de l’accueil. Dans le village de brousse où ils ont choisis de travailler, les cases sont ouvertes et les gens vont et viennent librement. Chez ces villageois qui n’ont que le strict minimum pour vivre il y a toujours de quoi préparer un repas pour l’invité surprise.

le BISSAP est la boisson nationale sénégalaise: elle est préparée à base de fleur d'hibiscus


C’est Gallaye Thiam, l’infirmier du village qui leur a donné l’idée de faire quelque chose pour donner un coup de pouce. En concertation avec les plans sanitaires qui existent déjà là bas ils ont décidé de retourner à Ndoucoumane en mai prochain pour une tournée de prévention dans une quinzaine de village pendant deux semaines.


Gallaye Thiam /photo Axel Weber


Axel et Maxime iront de village en village en charrette à cheval animer des causeries de prévention sur les parasitoses et distribuer de quoi déparasiter les enfants et pallier leur carence en fer car les enfants atteints sont anémiés. Ils ont rassemblé les fonds nécessaires en France. Cela comprend une subvention de 160 € de la ville de Sérémange, les 500€ du concours du crédit mutuel, « des jeunes qui osent », que leur avait valu le projet élaboré lors de la deuxième expédition à Ndoucoumane et le produit des ventes à venir de l’exposition. Les médicaments de déparasitages, les compléments en fer et la vitamine A seront achetés sur le marché pharmacologique local pour faire marcher ce commerce et pour des raisons de coût.

Cette expérience de la Terranga, le sens de l’hospitalité propre à l’Afrique, remet notre façon de vivre en question.


Même si pour Maxime il n’est pas question de vivre à la sénégalaise, en voyant l’intérêt commun prendre le pas sur l’intérêt de chacun, comme chez nous en Europe, il a envie de transmettre le témoignage qu’il ne faut pas laisser le progrès détruire la solidarité. Le progrès nous a isolés. Nous avons le stress et la course à l’argent, et si dans la brousse, ils n’ont ni eau courante ni électricité, au moins, ils sont ensemble.


photo Djibrill Dramé



http://adsar.asso.st/

mercredi 25 novembre 2009

Catherine Wihtol de Wenden: rouvrir les frontières


Quand on parle de migrant aujourd’hui on nous renvoie souvent l’image du migrant précaire qui vit sur le dos des pays qui l’accueillent et vole les emplois des locaux. La réalité est toute autre, par exemple un millier de migrants passent chaque année par le département de la Moselle et le phénomène va s’amplifier dans les années qui viennent.

Il faut apprendre à considérer ce phénomène comme une donnée normale de la mondialisation et non comme une menace.

Pour comprendre ces enjeux, des conférences se sont tenues à Thionville pendant le festival « des Frontières et des hommes » organisé par la mairie. Dans ce cadre, la Pastorale des migrants a invité une juriste et politologue de formation, Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au C.E.R.I, centre d’études et de recherches internationales à une conférence qui a eu lieu le jeudi 19 novembre dans la salle Albert Schweitzer à Thionville.

Madame de Wenden est une spécialiste reconnue des phénomènes de migration internationale sur lesquels elle mène des recherches depuis plus de vingt ans. Son engagement à la ligue des droits de l’homme et à France terre d’asile se nourrit et se fonde sur la rigueur de ses recherches scientifiques. L’objet de la conférence est de considérer les phénomènes migratoires sous l’angle du développement humain.

Le développement humain est ce qui permet à une population de se développer au mieux de ses possibilités dans un contexte favorable de santé d’éducation et de niveau de vie. Et les phénomènes de migrations sont justement là pour rééquilibrer les injustices en matière de développement entre le nord et le sud, les riches et les pauvres. Un milliard de personnes sont en situation de migration actuellement dans le monde, soit une personne sur sept dans le monde. Mais la plupart des migrants se déplacent à l’intérieur de leur pays: 740 millions de personnes sont des migrants internes. Il n’y a que 200 millions de migrants internationaux soit 3% de la population mondiale.

· 61 millions, un tiers des migrations se fait du sud vers le nord,

· 100 millions migrent du sud au sud,

· 61 millions du nord vers le nord

· 14 millions du nord vers le sud et

· 14 millions de l’est vers l’ouest et inversement.

En plus depuis dix ans, les pays de départ comme le Maroc la Turquie le Mexique sont devenus pays d’accueil ou de transit. La France est aujourd’hui pays de transit : les statuts changent. La réalité des changements est plus rapide que les institutions des pays qui préfèrent se barricader derrière leur frontière. Cela vaut dans les deux sens : un pays maghrébin en peine transition démographique voit sa population jeune augmenter. Mais après un mouvement de migration de ces générations jeunes, les familles seront moins nombreuses et le flux de migrant moins important. Ces phénomènes sont transitoires.

L’information et les réseaux, Internet, les transferts d’argent, accélèrent la mobilité dans le monde. La télé fait rêver et donne une impression de proximité à ceux qui nous regardent depuis l’Afrique par exemple. Les jeunes refusent le fatalisme et préfère quitter un pays pauvre et mal gouverné et prendre leur destin en main. Mais si les barrières commerciales tombent entre les pays et que les biens circulent de plus en plus facilement, la circulation des hommes est de plus en plus difficile : deux tiers de la population mondiale n’a pas le droit de circuler librement.

La forteresse Europe avec la sécurisation des frontières, la mise en commun des données de la police (frontex) et des empreintes digitales (eurodac) a un effet de dissuasion limité et reste sans impact sur le désir des gens de bouger dans le monde.

La migration est inévitable. Il ne faut pas figer la mobilité mais l’accompagner car les pays européens ont besoin de cette population. Les migrants développent l’activité économique. Il faut considérer que les transferts d’argent qui vont avec la migration aident au développement des pays de départ et que l’espoir de développement renforce la mobilité. Des migrants avec un meilleur niveau de vie peuvent retourner chez eux. Ce sont toujours les plus précaires des migrants qui s’installent parce qu’ils n’ont pas de papiers et qu’ils sont les plus vulnérables.

Pour Catherine Wihtol de Wenden, la politique de fermeture des frontière est une aberration car les migrants sont une richesse : pour leur pays d’origine et pour ceux qui les accueillent. Il faut avoir le courage d’intégrer les phénomènes de migrations dans la politique de nos pays et dépasser les craintes liées aux migrants pour optimiser notre développement commun.


mercredi 4 novembre 2009

evelyne michel: prendre sa place pour changer les choses.


Evelyne fait partie de conseil d’administration du centre Le Lierre aux Basses-Terres depuis l’an 2000. Elle y avait déjà participé en 1999 en tant que remplaçante de la représentante de l’A.P.E, association de parents d’élève du quartier.

La même année, elle devient présidente de l’A.P.E au cours d’une assemblée générale où elle pose sa candidature contre la présidente sortante : elle a décidé de changer certaines façons de faire de l’association et d’associer les gens aux décisions plutôt que de répartir les tâches de façon autoritaire. Elle a déjà compris qu’on ne peut amener les gens à collaborer bénévolement à un projet que s'ils en ont envie et que ça leur fait plaisir. Elle sera présidente jusqu’en 2004. Cette année là, ses enfants entrent au collège et au conseil de l’école de quartier, elle n’a plus qu’un rôle consultatif. Pour continuer à exercer comme présidente, elle a besoin d’être dans le bain et elle préfère passer la main. Son apprentissage d’administratrice du Lierre la met aux prises avec un jargon professionnel qu’elle ignore mais elle peut compter sur l’attention de Dino Santilli, le directeur du centre, qui remarque toujours dans l’assemblée ceux qui manifestent sur leur visage une certaine hésitation.


R.E.V.V.E: l'atelier à ses débuts.


Au centre, elle s’occupe de l’atelier R.E.V.V.E , qui collecte les vêtements et de la bourse aux jouets. En 2008 le conseil remet en question l’existence de la bourse aux jouets et elle démarre au quart de tour : si la bourse est supprimée elle quitte le centre. Avec d'autres administrateurs du centre, elle accepte de prendre personnellement en charge le projet pour permettre sa survie.

la bourse aux jouets 2009, salle polyvalente au Lierre


Au sein du C.A. c’est une mini révolution mais Evelyne ne dit pas oui parce que tout le monde dit oui et après tout, elle a mis à profit les formations que le C.A leur a proposé : « conduire un projet », « la place du bénévole dans le centre social », « la manière de communiquer ». Ces séances l’ont aidé à réaliser des choses qu’elle faisait sans les remettre en question. Hélène Dagrena par exemple, leur a montré la nécessité de l’écoute dans un groupe et le pouvoir qu’a chacun de s’exprimer en son nom propre. Plutôt que de s’appuyer sur ceux qui se mettent en avant et suivre leur avis en toute circonstance il faut se faire confiance et parler.

Avant elle ne se posait pas de question et rendait service pour faire plaisir. Aujourd’hui elle choisit ses engagements pour éviter de se retrouver avec un agenda de salarié. Car si au début on agit pour être utile pendant les heures scolaires, il faut veiller à ne pas déborder sur sa vie de famille. Ainsi elles ne sont plus que deux à s’occuper de R.E.V.V.E et entre les temps de réunion qu’elles se répartissent le mardi après midi et le vendredi matin et les activités vidéo liées au festival du Réel en vue, elles ont réduit leur participation au seul comité technique vidéo.



Avec les années c’est vrai, le centre a changé, l’accueil est différent du temps où le bar était ouvert. Mais il le fallait car le centre n’aurait pu continuer ainsi et aurait disparu : à une époque elle se souvient qu’il était difficile pour quelqu’un venant inscrire ses enfants d’identifier le personnel parmi les usagers du centre.


les coulisses du festival 2007


Etre bénévole est enrichissant et Evelyne a beaucoup appris ces dernières années, elle rencontre également beaucoup de gens et sa surprise vient de la reconnaissance des centres sociaux associés au Lierre qui ont toujours besoin de gens de bonne volonté et ont parfois du mal à attirer les bénévoles comme elle et ses amies Cristina Delgado et Marysia Fassbender.


les trois amies et leurs collègues occupées à la cantine de la dernière fête de quartier.

mardi 3 novembre 2009

Monique Azegagh : de la difficulté de transmettre ses valeurs.




Monique Azegagh est « référente-famille » et coordinatrice au C.L.A.S, centre de loisirs et d'animation sociale de Guénange, dont la présidente est madame Siegwarth et la directrice madame Meunier et elle a bien voulu répondre à quelques questions sur que représente pour elle « la frontière » dans le cadre d’un film réalisé pour le festival du « Réel en vue »


tout près de Thionville, Guénange et son blason


Ce qui lui vient en premier à l’esprit c’est l’image de voisins entre eux qui vont se barricader en montant une jolie murette ou en mettant des haies partout pour bien montrer que c’est chacun pour soi.

Mais la frontière, c’est aussi celle des classes sociales. Quelqu’un sans argent pourrait exceller dans un domaine qui restera hors de portée d’un riche : en aura-t-il les moyens ? On est quand même à bout quand on ne comprend pas pourquoi on est si différent des autres : on ne l’accepte pas. Donc certains réagissent par la violence.

Vingt ou trente ans en arrière Monique aurait été plutôt révoltée. Maintenant, elle se dit que malheureusement, on est dans un monde où il faut avancer en essayant de ne pas se mettre de barrière.

Il faut essayer de trouver et de prendre le meilleur de chacun parce qu’il y a du bon chez tout le monde.

Devant l’injustice, elle a plus de retenue qu’avant, elle ne va pas exploser mais plutôt essayer de comprendre. Si c’est dans son entourage, elle discute avec la personne pour tenter de lui montrer une autre façon d’agir : le fait de discuter fait avancer les choses. Monique aime bien écouter, cela lui apporte et lui apprend beaucoup. Et c’est de manque de dialogue et d’écoute que souffrent les gens.

Parfois dans son travail quotidien elle se demande « ils cherchent quoi » et pourquoi les gens sont-ils si pressés?

C’est tout petit qu’il faut apprendre à vivre ensemble : à l’école, au club de sport, partout, un simple bonjour, un merci, un sourire, effacent les barrières. Monique a grandi avec les valeurs que lui ont inculqué ses parents et ses grands-parents : il faut les perpétuer pour ne pas les oublier.

Elle se souvient de sa jeunesse et des distractions simples qu’elle partageait avec ses amies et elle a peur que les nouvelles générations aient peu à partager entre l’internet et les jeux informatiques. Elle se demande aussi si elle ne se met pas elle-même inconsciemment des barrières en se raccrochant à des valeurs qui la rassurent. Peut-être qu’à leur manière les enfants d’aujourd’hui bannissent les frontières car il y aura toujours des générations de révoltés.

Elle a quitté l’adolescence et c’est leur vie à eux dont il s’agit. Mais elle n’aime pas voir les gens malheureux autour d’elle, elle ne veut pas les voir gâcher leur vie. Car c’est eux qui devront s’occuper des plus âgés bientôt. Et sans se voiler la face, il faut constater la frontière qui sépare de plus en plus les générations d‘aujourd’hui et les personnes âgées.

Encore une fois, si on n’inculque pas à l’enfant dès le début des valeurs de tolérance et de respect des plus anciens, il grandit dans le manque de ses origines et de son passé. Il vit, il travaille, il a quelques amis et s’offre quelques loisirs mais il n’a plus envie de s’embarrasser de toutes ces notions banalisées à ses yeux.


l'équipe de tournage du "réel en vue" quitte les locaux où est hébergé le CLAS de Guénange.

vendredi 30 octobre 2009

Yehiya Boncana, un homme qui a de la chance.

Boncana, en sonrhaï, signifie « un homme qui a de la chance ».
Le sonrhaï est une des nombreuses langues qui se parlent au Mali, c’est celle du père de Yehiya, aujourd’hui décédé. Yéhiya parle aussi le peuhl car sa mère est peuhl, le peuple des bergers. Il parle aussi le tamasheq car il a résidé dans une ville tamasheq dans son enfance. Le bambara est la langue la plus parlée au Mali mais le plus souvent, quand on est bambara on ne parle que le bambara et Yéhiya est content de parler plusieurs langues. Yehiha a vingt et un an et vient de Gao, ville de la septième région du Mali, jumelée depuis plus d’une vingtaine d’années à Thionville. Il a fait ses études dans une école agro-pastorale de Gao et a obtenu son brevet de technicien après quatre ans d’études.
Ce sont ses bonnes notes et son projet qui ont retenu l’attention du comité de jumelage et lui ont valu l’attribution d’une bourse d’études. Depuis la mi-septembre, il a intégré l’I.U.T de Thionvillle-Yutz pour suivre une formation de deux ans en génie biologie option industrie alimentaire et biologique sur la transformation du lait en particulier.

le mémoire de fin d'études de Yéhiya et la revue de l'école



Le projet de Yéhiya est en effet de sensibiliser les bergers peuhls et tamasheqs à la conservation du lait pour la fabrication de fromage dans de bonnes conditions. Il aimerait aussi ouvrir une fromagerie. Cette bourse est tombée à pic car, pour lui permettre de poursuivre ses études au Mali, sa mère, qui vit de sa demi pension de veuve, aurait du vendre quelques têtes de bétail. Certains dans l’entourage, laissaient déjà entendre qu’il ferait mieux d’arrêter ses études et de trouver un petit boulot pour soutenir sa mère.

les troupeaux font parfois jusqu'à 40 km
pour rejoindre le fleuve( photos Pascal Maitre)




Mais Yéhiya aime apprendre et il a saisi cette chance de venir étudier en France. Lui qui n’était jamais sorti de son pays, est monté dans un avion pour la première fois. C’est aussi la première fois qu’il se retrouve seul dans une chambre comme ici au foyer des trois frontières. Les couloirs sont déserts et silencieux mais derrière chaque porte il y a quelqu’un comme lui.

Depuis un mois qu’il est là il s’est fait un petit groupe de copains qu’il retrouve au repas du soir où dans la salle télé. Et le week-end, il est souvent invité par des membres du comité de jumelage.

Sa bourse de 450€ par mois lui semblait importante vue du Mali et il est bien obligé de voir combien la vie est chère en France. La nourriture est aussi une surprise. En Afrique, on connaît tout de l’Europe par les images et quand on voit des gens manger à l’écran, on a envie de rentrer dans la télé manger ce qu’on voit. Mais à l’usage, la nourriture est bien plus fade qu’au Mali : il faut toujours ajouter un assaisonnement.


Il est content de suivre les cours de l’I.U.T malgré ses difficultés en chimie et en maths. Le niveau d’entrée est celui de terminale S et il est un peu découragé par ce qu’il lui faudrait connaître pour suivre les cours dans les meilleures conditions : on ne va pas à la guerre les mains vides, à l’école il faut être préparé à ce qu’on va apprendre.

l'I.U.T de Thionville-Yutz


la dune de Gao : l'ensablement menace la boucle du Niger (photo Pascal Maitre)

Il a trouvé de l’aide auprès d’un professeur de biologie du comité mais il a vraiment besoin d’entrainement en chimie et en maths. Comme la vie en Europe, les cours vont très vite. Il est un peu rassuré de voir ses collègues peiner à suivre eux aussi mais il s’étonne que personne ne demande à ralentir le rythme : il n’a pas l’habitude de suivre en même temps les images projetées, écouter les commentaires du professeur et prendre des notes. C’est comme courir deux lièvres à la fois.

Enfin, Yéhiya Boncana ne manque pas de courage, il est prêt à surmonter les difficultés et à s’adapter, même à l’absence de sable de ce pays où tout est goudronné. Il reste déterminé à ramener un diplôme chez lui.