mercredi 25 novembre 2009

Catherine Wihtol de Wenden: rouvrir les frontières


Quand on parle de migrant aujourd’hui on nous renvoie souvent l’image du migrant précaire qui vit sur le dos des pays qui l’accueillent et vole les emplois des locaux. La réalité est toute autre, par exemple un millier de migrants passent chaque année par le département de la Moselle et le phénomène va s’amplifier dans les années qui viennent.

Il faut apprendre à considérer ce phénomène comme une donnée normale de la mondialisation et non comme une menace.

Pour comprendre ces enjeux, des conférences se sont tenues à Thionville pendant le festival « des Frontières et des hommes » organisé par la mairie. Dans ce cadre, la Pastorale des migrants a invité une juriste et politologue de formation, Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au C.E.R.I, centre d’études et de recherches internationales à une conférence qui a eu lieu le jeudi 19 novembre dans la salle Albert Schweitzer à Thionville.

Madame de Wenden est une spécialiste reconnue des phénomènes de migration internationale sur lesquels elle mène des recherches depuis plus de vingt ans. Son engagement à la ligue des droits de l’homme et à France terre d’asile se nourrit et se fonde sur la rigueur de ses recherches scientifiques. L’objet de la conférence est de considérer les phénomènes migratoires sous l’angle du développement humain.

Le développement humain est ce qui permet à une population de se développer au mieux de ses possibilités dans un contexte favorable de santé d’éducation et de niveau de vie. Et les phénomènes de migrations sont justement là pour rééquilibrer les injustices en matière de développement entre le nord et le sud, les riches et les pauvres. Un milliard de personnes sont en situation de migration actuellement dans le monde, soit une personne sur sept dans le monde. Mais la plupart des migrants se déplacent à l’intérieur de leur pays: 740 millions de personnes sont des migrants internes. Il n’y a que 200 millions de migrants internationaux soit 3% de la population mondiale.

· 61 millions, un tiers des migrations se fait du sud vers le nord,

· 100 millions migrent du sud au sud,

· 61 millions du nord vers le nord

· 14 millions du nord vers le sud et

· 14 millions de l’est vers l’ouest et inversement.

En plus depuis dix ans, les pays de départ comme le Maroc la Turquie le Mexique sont devenus pays d’accueil ou de transit. La France est aujourd’hui pays de transit : les statuts changent. La réalité des changements est plus rapide que les institutions des pays qui préfèrent se barricader derrière leur frontière. Cela vaut dans les deux sens : un pays maghrébin en peine transition démographique voit sa population jeune augmenter. Mais après un mouvement de migration de ces générations jeunes, les familles seront moins nombreuses et le flux de migrant moins important. Ces phénomènes sont transitoires.

L’information et les réseaux, Internet, les transferts d’argent, accélèrent la mobilité dans le monde. La télé fait rêver et donne une impression de proximité à ceux qui nous regardent depuis l’Afrique par exemple. Les jeunes refusent le fatalisme et préfère quitter un pays pauvre et mal gouverné et prendre leur destin en main. Mais si les barrières commerciales tombent entre les pays et que les biens circulent de plus en plus facilement, la circulation des hommes est de plus en plus difficile : deux tiers de la population mondiale n’a pas le droit de circuler librement.

La forteresse Europe avec la sécurisation des frontières, la mise en commun des données de la police (frontex) et des empreintes digitales (eurodac) a un effet de dissuasion limité et reste sans impact sur le désir des gens de bouger dans le monde.

La migration est inévitable. Il ne faut pas figer la mobilité mais l’accompagner car les pays européens ont besoin de cette population. Les migrants développent l’activité économique. Il faut considérer que les transferts d’argent qui vont avec la migration aident au développement des pays de départ et que l’espoir de développement renforce la mobilité. Des migrants avec un meilleur niveau de vie peuvent retourner chez eux. Ce sont toujours les plus précaires des migrants qui s’installent parce qu’ils n’ont pas de papiers et qu’ils sont les plus vulnérables.

Pour Catherine Wihtol de Wenden, la politique de fermeture des frontière est une aberration car les migrants sont une richesse : pour leur pays d’origine et pour ceux qui les accueillent. Il faut avoir le courage d’intégrer les phénomènes de migrations dans la politique de nos pays et dépasser les craintes liées aux migrants pour optimiser notre développement commun.


mercredi 4 novembre 2009

evelyne michel: prendre sa place pour changer les choses.


Evelyne fait partie de conseil d’administration du centre Le Lierre aux Basses-Terres depuis l’an 2000. Elle y avait déjà participé en 1999 en tant que remplaçante de la représentante de l’A.P.E, association de parents d’élève du quartier.

La même année, elle devient présidente de l’A.P.E au cours d’une assemblée générale où elle pose sa candidature contre la présidente sortante : elle a décidé de changer certaines façons de faire de l’association et d’associer les gens aux décisions plutôt que de répartir les tâches de façon autoritaire. Elle a déjà compris qu’on ne peut amener les gens à collaborer bénévolement à un projet que s'ils en ont envie et que ça leur fait plaisir. Elle sera présidente jusqu’en 2004. Cette année là, ses enfants entrent au collège et au conseil de l’école de quartier, elle n’a plus qu’un rôle consultatif. Pour continuer à exercer comme présidente, elle a besoin d’être dans le bain et elle préfère passer la main. Son apprentissage d’administratrice du Lierre la met aux prises avec un jargon professionnel qu’elle ignore mais elle peut compter sur l’attention de Dino Santilli, le directeur du centre, qui remarque toujours dans l’assemblée ceux qui manifestent sur leur visage une certaine hésitation.


R.E.V.V.E: l'atelier à ses débuts.


Au centre, elle s’occupe de l’atelier R.E.V.V.E , qui collecte les vêtements et de la bourse aux jouets. En 2008 le conseil remet en question l’existence de la bourse aux jouets et elle démarre au quart de tour : si la bourse est supprimée elle quitte le centre. Avec d'autres administrateurs du centre, elle accepte de prendre personnellement en charge le projet pour permettre sa survie.

la bourse aux jouets 2009, salle polyvalente au Lierre


Au sein du C.A. c’est une mini révolution mais Evelyne ne dit pas oui parce que tout le monde dit oui et après tout, elle a mis à profit les formations que le C.A leur a proposé : « conduire un projet », « la place du bénévole dans le centre social », « la manière de communiquer ». Ces séances l’ont aidé à réaliser des choses qu’elle faisait sans les remettre en question. Hélène Dagrena par exemple, leur a montré la nécessité de l’écoute dans un groupe et le pouvoir qu’a chacun de s’exprimer en son nom propre. Plutôt que de s’appuyer sur ceux qui se mettent en avant et suivre leur avis en toute circonstance il faut se faire confiance et parler.

Avant elle ne se posait pas de question et rendait service pour faire plaisir. Aujourd’hui elle choisit ses engagements pour éviter de se retrouver avec un agenda de salarié. Car si au début on agit pour être utile pendant les heures scolaires, il faut veiller à ne pas déborder sur sa vie de famille. Ainsi elles ne sont plus que deux à s’occuper de R.E.V.V.E et entre les temps de réunion qu’elles se répartissent le mardi après midi et le vendredi matin et les activités vidéo liées au festival du Réel en vue, elles ont réduit leur participation au seul comité technique vidéo.



Avec les années c’est vrai, le centre a changé, l’accueil est différent du temps où le bar était ouvert. Mais il le fallait car le centre n’aurait pu continuer ainsi et aurait disparu : à une époque elle se souvient qu’il était difficile pour quelqu’un venant inscrire ses enfants d’identifier le personnel parmi les usagers du centre.


les coulisses du festival 2007


Etre bénévole est enrichissant et Evelyne a beaucoup appris ces dernières années, elle rencontre également beaucoup de gens et sa surprise vient de la reconnaissance des centres sociaux associés au Lierre qui ont toujours besoin de gens de bonne volonté et ont parfois du mal à attirer les bénévoles comme elle et ses amies Cristina Delgado et Marysia Fassbender.


les trois amies et leurs collègues occupées à la cantine de la dernière fête de quartier.

mardi 3 novembre 2009

Monique Azegagh : de la difficulté de transmettre ses valeurs.




Monique Azegagh est « référente-famille » et coordinatrice au C.L.A.S, centre de loisirs et d'animation sociale de Guénange, dont la présidente est madame Siegwarth et la directrice madame Meunier et elle a bien voulu répondre à quelques questions sur que représente pour elle « la frontière » dans le cadre d’un film réalisé pour le festival du « Réel en vue »


tout près de Thionville, Guénange et son blason


Ce qui lui vient en premier à l’esprit c’est l’image de voisins entre eux qui vont se barricader en montant une jolie murette ou en mettant des haies partout pour bien montrer que c’est chacun pour soi.

Mais la frontière, c’est aussi celle des classes sociales. Quelqu’un sans argent pourrait exceller dans un domaine qui restera hors de portée d’un riche : en aura-t-il les moyens ? On est quand même à bout quand on ne comprend pas pourquoi on est si différent des autres : on ne l’accepte pas. Donc certains réagissent par la violence.

Vingt ou trente ans en arrière Monique aurait été plutôt révoltée. Maintenant, elle se dit que malheureusement, on est dans un monde où il faut avancer en essayant de ne pas se mettre de barrière.

Il faut essayer de trouver et de prendre le meilleur de chacun parce qu’il y a du bon chez tout le monde.

Devant l’injustice, elle a plus de retenue qu’avant, elle ne va pas exploser mais plutôt essayer de comprendre. Si c’est dans son entourage, elle discute avec la personne pour tenter de lui montrer une autre façon d’agir : le fait de discuter fait avancer les choses. Monique aime bien écouter, cela lui apporte et lui apprend beaucoup. Et c’est de manque de dialogue et d’écoute que souffrent les gens.

Parfois dans son travail quotidien elle se demande « ils cherchent quoi » et pourquoi les gens sont-ils si pressés?

C’est tout petit qu’il faut apprendre à vivre ensemble : à l’école, au club de sport, partout, un simple bonjour, un merci, un sourire, effacent les barrières. Monique a grandi avec les valeurs que lui ont inculqué ses parents et ses grands-parents : il faut les perpétuer pour ne pas les oublier.

Elle se souvient de sa jeunesse et des distractions simples qu’elle partageait avec ses amies et elle a peur que les nouvelles générations aient peu à partager entre l’internet et les jeux informatiques. Elle se demande aussi si elle ne se met pas elle-même inconsciemment des barrières en se raccrochant à des valeurs qui la rassurent. Peut-être qu’à leur manière les enfants d’aujourd’hui bannissent les frontières car il y aura toujours des générations de révoltés.

Elle a quitté l’adolescence et c’est leur vie à eux dont il s’agit. Mais elle n’aime pas voir les gens malheureux autour d’elle, elle ne veut pas les voir gâcher leur vie. Car c’est eux qui devront s’occuper des plus âgés bientôt. Et sans se voiler la face, il faut constater la frontière qui sépare de plus en plus les générations d‘aujourd’hui et les personnes âgées.

Encore une fois, si on n’inculque pas à l’enfant dès le début des valeurs de tolérance et de respect des plus anciens, il grandit dans le manque de ses origines et de son passé. Il vit, il travaille, il a quelques amis et s’offre quelques loisirs mais il n’a plus envie de s’embarrasser de toutes ces notions banalisées à ses yeux.


l'équipe de tournage du "réel en vue" quitte les locaux où est hébergé le CLAS de Guénange.